Article rédigé par François Perroy, Directeur du cabinet Emotio Tourisme pour la Revue Espaces – Décembre 2022 – En partenariat avec etourisme.info
Les destinations touristiques semblent donner, depuis quelques années, une moindre importance à la construction de leur stratégie marketing pour affirmer leur positionnement. La communication, la stratégie digitale, « l’expérience utilisateur » sont considérés comme des chantiers plus prioritaires. Mais ces opérations sont de plus en plus effectuées sans un préalable travail de fond marketing, grâce auquel elles ressortiraient pourtant grandies, mieux ciblées et donc plus efficaces pour permettre à la destination de se différencier des autres.
Le sujet du marketing applicatif est régulièrement abordé depuis la naissance du blog etourisme.info. Les articles faisant référence à des solutions digitales animant la relation avec des prospects, tant autour des sites web de destination, que des plateformes commerciales ou des réseaux sociaux, sont nombreux. Les outils et techniques d’entretien et de développement de la gestion de la relation client sont aussi abordés. Les innovations technologiques fondent le socle du blog et depuis quelques années, les thèmes autour des transformations, de la responsabilité, de la sobriété, s’imposent. Le blog évolue avec les enjeux généraux qui impactent le tourisme. Peut-être par effet d’évolution des priorités au regard des cibles, avec l’émergence du rôle des habitants et la moindre fréquentation des organismes de gestion des destinations (OGD) par les touristes étrangers, je constate un éloignement des préoccupations liées à la stratégie marketing. Le nombre d’articles publiés sur le sujet dans le blog est faible. Il occupe désormais un spectre allant de la stratégie marketing à la stratégie de communication, sans que la différence entre ces deux thèmes soit marquée. La position actuelle des OGD françaises sur le sujet du marketing me paraît insuffisamment investie. Ludovic Dublanchet s’interrogeait d’ailleurs dans un article publié le 21 février 2022 : « Le slogan, la signature, c’est passé de mode ? ». Il résumait ainsi son propos : « La plupart de nos sites se contentent d’une grande et belle image, parfois en mode diaporama, en vidéo, mais sans m’en dire beaucoup plus, sans afficher ce qui les différencie de leurs concurrents que je vais également visiter ».
UNE CONFUSION INTERNE
Positionnées entre les investisseurs publics que sont les collectivités et leurs publics touristiques (professionnels locaux, touristes finaux et habitants), les OGD ont des obligations réglementaires multiples, trop ambitieuses de mon point de vue, à conduire. Dans les critères de classement des offices de tourisme (axe 19), il est clairement indiqué que l’office de tourisme met en œuvre la stratégie touristique locale.
« L’office de tourisme élabore et met en œuvre une stratégie touristique précisant les missions de l’office de tourisme dans les domaines suivants :
- politique d’accueil
- commercialisation ;
- animation du réseau des acteurs touristiques, accompagnement dans la transition numérique, assistance aux porteurs de projet ;
- promotion de la destination et communication grand public ;
- actions de sensibilisation des touristes et des acteurs touristiques en matière de protection de l’environnement et de développement durable ;
- amélioration de l’offre touristique à travers le classement des hébergements et la diffusion des marques.
Cette stratégie touristique est validée par la collectivité« .
Et les axes précédents, 17 et 18, obligent l’office de tourisme à tenir à jour un tableau de bord de la fréquentation touristique, ainsi qu’à mettre en place un observatoire sur la satisfaction. Cette procédure de classement a été largement simplifiée puisqu’auparavant, 48 critères étaient retenus, contre 19 aujourd’hui.
LE MARKETING, MAILLON ABSENT
Nous notons que le mot marketing n’est pas utilisé et a fortiori, il n’est pas accolé à celui de stratégie touristique. Et c’est encore plus vrai dans le guide méthodologique de la DGE (15 pages, mai 2019), intitulé « Procédure relative au classement des offices de tourisme ». Un office de tourisme fait donc du marketing sans le savoir et sans le dire. Il manque une évidence, un maillon dans la chaîne de valeurs de l’OGD office de tourisme, à savoir le marketing. Si nous remettons dans l’ordre les processus conduisant à l’élaboration d’une stratégie marketing, nous pouvons osciller entre deux approches applicables dans l’univers du tourisme :
- D’une part une approche classique, destinée à accroître la performance d’une entreprise commerciale : avec des objectifs divers, voire complémentaires comme le développement de parts de marché, soit par la conquête soit par la fidélisation, de l’élévation qualitative des prestations, de la satisfaction client, de l’augmentation des contributions et in fine des résultats, du retour sur investissement.
- D’autre part, une approche territoriale, fondée sur l’engagement des différentes parties prenantes d’une destination (bras armés de la collectivité, élus et techniciens, partenaires privés du tourisme, des loisirs, de la culture, du sport, du commerce, du transport), sur leur mobilisation et le partage de visions autour d’objectifs communs et applicables à l’univers territorial.
Les séquences suivantes de diagnostic, de définition de choix stratégiques, de construction d’un plan d’actions, et d’évaluation de la démarche et des retombées sont similaires à ces deux entrées en matière, bien que des nuances soient apportées. Vincent Gollain a formalisé la mise en œuvre d’une démarche de marketing territorial en cinq séquences et 25 points clés, dont deux centraux portent sur la définition des choix stratégiques que l’on devrait exprimer dans le pilotage d’une destination :
- Se donner une ambition en choisissant les objectifs stratégiques de moyen et long termes
- Positionner le territoire et construire sa promesse client
Par expérience de terrain, je voudrais insister sur deux points qui me paraissent être souvent en souffrance dans l’élaboration de démarches marketing touristique pour des destinations :
- D’abord, le temps long de la définition stratégique en considérant que les objectifs et l’appréhension peuvent évoluer entre le début d’un processus, alors que l’on ne dispose pas de tous les éléments requis, et le moment où les données peuvent être figées après le diagnostic. Des évolutions tout au long du processus me paraissent souhaitables, car elles permettent d’affiner l’ambition collective de l’OGD avec une meilleure prise en compte des points de vue des parties prenantes, à l’inverse d’une entreprise souvent en cheminement vertical, nous nous trouvons ici dans des approches horizontales et des segments de marchés sur lesquels on n’a pas beaucoup de prises car ils sont d’abord clients d’un transport puis d’un hébergement, avant de l’être de la destination.
- Ensuite, la capacité à définir et préciser un positionnement de destination étayé par une promesse client, en se tenant le plus éloigné possible d’une stratégie de communication, celle-ci n’étant qu’un débouché applicatif de la stratégie marketing (quoi, pour qui, pourquoi).
LA COMMUNICATION EN PRIORITÉ
Or, la communication s’impose très rapidement, au détriment du travail de fond marketing. La tendance à communiquer rapidement, avant l’élaboration d’une stratégie marketing est inhérente aux organisations touristiques territoriales pilotées par des élus ayant en tête la force d’attraction des images du tourisme au profit du développement général de leur territoire (habitants, nouveaux habitants, investisseurs publics et privés, media…). Il est assez fréquent de constater que l’on escamote le travail marketing préalable pour passer directement en phase de communication. C’est plus rapide, plus motivant, plus visible, plus sympa et les effets, au moins pour communiquer en interne, sont plus rapides.
Le sujet est d’autant plus flagrant si on s’intéresse aux enquêtes clientèles : la connaissance qui nous est délivrée tient plus du quantitatif adressé aux BIT (l’observation de la fréquentation de l’office de tourisme et de la satisfaction des touristes) que du qualitatif sur les comportements et les besoins, soit des prospects à distance, soit des visiteurs sur place et encore moins sur des sujets thématiques pour explorer de nouvelles possibilités : services, produits, circuits, acceptation d’un tarif… Le recours aux observatoires locaux le révèle aisément.
Je ne sais la raison de ces positions raccourcies, mais je constate que dans d’autres pays, on accorde plus d’importance aux études de clientèles, aux tests produits et services, aux définitions de positionnements courageux et assumés. Pourtant des solutions existent en matière de connaissance des clientèles. À titre d’exemple, le modèle de gestion des destinations de Saint-Gall (SGDM), en Suisse, est intéressant à l’échelle locale.
Le SGDM synthétise les comportements spatiaux des touristes et des visiteurs pour mieux comprendre leurs profils et leurs activités. Cette compréhension du portefeuille d’une destination, par l’observation des flux de visiteurs facilite l’alignement des projets, des produits et des services sur les motifs des voyages et des séjours.
En pratique, selon le SGDM, la démarche suit une série de six étapes :
» Identifier les flux de visiteurs et définir, dessiner et décrire les flux de visiteurs stratégiques ; » Discuter de la géométrie variable en chevauchant les flux de visiteurs stratégiques individuels et en évaluant le portefeuille de flux de visiteurs stratégiques ;
»Analyser les réseaux d’offre et de demande et reconstituer les principaux leviers et mécanismes moteurs du réseau ;
» Décrire les processus de gestion et de marketing par flux de visiteurs stratégiques et allouer et répartir les tâches tout au long du processus ; » Organiser les stratégies et les actions entre les organisations et les acteurs et affecter les ressources en fonction des compétences correspondantes ;
» Mettre à jour les flux, le processus de marketing et de gestion et l’utilisation des ressources en continu et modérer les processus d’apprentissage et de prise de décision au niveau de la destination.
Autre exemple : en relation avec l’un de nos partenaires espagnols, nous avons observé une solution digitale déployée à San Sebastian au Pays basque qui consiste à mesurer les flux instantanés des visiteurs dans le centre-ville. Cela permet d’imaginer les programmations événementielles, de déployer de nouveaux services, d’informer sur place pour inviter à des découvertes d’autres quartiers.
Un rapide tour d’horizon sur le site The Conversation, qui vulgarise de brèves publications d’universitaires, démontre dans sa version française que le couplage tourisme + enquête clients ne révèle pas de références d’articles. Le sujet des enquêtes des publics est peu présent dans l’élaboration des stratégies touristiques des OGD. Pourtant, il est difficile de proposer des stratégies marketing si l’on ne s’appuie pas sur des enquêtes clientèles visant à cerner les comportements, les besoins, l’expression des satisfactions. Difficile également de déterminer les segments de marchés à étudier. Ils peuvent être nombreux : habitants (des nuances à apporter selon leurs conditions de mobilités dans le territoire), touristes marchands, touristes propriétaires (et parmi ces touristes, les cibles liées à la composition socio-démographique), visiteurs événementiels, excursionnistes, entrepreneurs, artisans et commerçants, etc…
Certes, les sites d’avis donnent des éclairages pour des hébergements, des restaurants et des lieux de visite, mais ils ne forgent pas de typologies et d’analyses rigoureuses. Le champ de la connaissance des clientèles, aussi bien prospects que clients acquis, est insuffisamment travaillé dans les OGD, principalement au niveau des offices de tourisme. Les échelles supérieures peuvent recourir davantage à cette phase du travail marketing.
On assiste même à des collaborations entre OGD et plateformes digitales et cela m’étonne fortement. La donnée publique pourrait servir les intérêts locaux qui ne passent pas nécessairement par leur aspiration par des OTAs. Je vois dans ces vides une tendance à la paupérisation de la réflexion marketing en autonomie, au profit de l’envie de communiquer rapidement et massivement, au risque de devoir faire machine arrière pour contrer des phénomènes de surtourisme (rétropédalage de destinations sur des spots trop fréquentés avec mise au point de filtres pour réduire la capacité de charge). Une bonne stratégie marketing est un préalable indispensable pour éviter de tomber dans des actions de communication dont les résultats, démultipliés par la viralité digitale, peuvent échapper à leurs initiateurs.
DES POSITIONNEMENTS À ASSUMER
Le deuxième champ de l’interrogation marketing réside dans le travail stratégique du positionnement. Un joyeux mélange est à l’œuvre dans beaucoup d’OGD entre le positionnement marketing et le positionnement de communication. Le premier est le résultat d’un travail permettant d’engager la destination dans une voie de développement. Ce travail et le choix qui en résulte servent à flécher les investissements, à organiser les politiques touristiques en lien avec les autres grandes politiques, je pense notamment aux mobilités, mais aussi aux enjeux sportifs et culturels, à mettre en mouvement les partenaires privés dans une voie commune et différenciante des concurrents.
Le positionnement de communication est l’expression d’un soutien à la marque, qui porte du sens (une identité expression d’une volonté collective partagée), en donne aux visiteurs (une réponse adaptée aux évolutions de la société) et se traduit par une création de valeur (pourquoi choisir cette destination, comment l’apprécier, pourquoi la revendiquer et assumer son choix…). Ce processus du positionnement mérite de mon point de vue d’être réarmé pour mieux marquer les avantages concurrentiels, guider les investissements publics et privés dans une voie stratégique. La différenciation a toujours été synonyme de richesse et de diversité. La nature nous le prouve tous les jours.
Mais cette différenciation n’est pas qu’affichage. Elle est inscrite dans les gênes et dans les complémentarités entre espèces et espaces. Il me semble que la stratégie marketing doit de nouveau nourrir le travail des OGD pour porter des promesses et réalités qui touchent les publics les plus adaptés. Il est assez désarmant de constater d’une part les moyens affectés à l’ergonomie et à l’UX design en matière digitale, et d’autre part la faiblesse des moyens affectés au processus stratégique en matière de tourisme territorial. Pourtant, les deux participent de la même volonté : coller le plus possible aux besoins des utilisateurs pressentis.