Epidémie de touristophobie

Pour la posologie : une dose quotidienne d’hébergements marchands

La tourismophobie s’est révélée être une pandémie dans le courant de l’été 2017. D’actions isolées, comme à Venise contre les croisières ou à Barcelone, les media ont constaté le même phénomène. Tous les vocables utilisés (troppi turisti en Italie, overtourism en Grande Bretagne, turismofobia en Espagne, zu viele touristen en Allemagne) traduisaient le fait que de nombreuses villes d’Europe voyaient émerger une épidémie d’énervement de la part des habitants envers le tourisme de masse.

Sur le sujet, les mots clefs de l’été 2017 ont été les mêmes partout où l’on a constaté des manifestations :

  • tourisme de masse
  • exaspération
  • épidémie
  • tourismophobie
  • quotas
  • invasion
  • overdose
  • tourists go home

Et bien d’autres.

 

On a même vu apparaître un nouveau vocabulaire : balconing (sauter dans une piscine depuis un balcon), bierbikes (vélos à bière).

 

Au cours de l’été, ce sont les habitants qui ont pris la parole contre le tourisme alors que précédemment, la nature des commentaires sur les sites d’avis des voyageurs alimentait les rubriques estivales des media. Bizarrement, à part Amsterdam et Prague, les grandes villes touristiques comme Paris, Londres ou New York, où l’on trouve les loyers les plus élevés, n’ont pas été autant concernées par le phénomène. L’actualité est surtout venue de l’Europe du Sud, de Lisbonne à Dubrovnik, en passant par le Pays Basque, les îles Baléares, Barcelone, de spots italiens.

Des seringues d’énervement

Un article publié dans le quotidien espagnol El Pais a établi un parallèle historique intéressant au sein de la belle et riche ville basque de San Sebastian (Donostia). En 2016, on y a enregistré 1,265 million de nuitées hôtelières. Mais, plus de cent ans plus tôt, en 1907 exactement, San Sebastian comptabilisait… 1,356 million de nuitées touristiques.

Edifiant non ? A l’époque on n’évoquait ni la décroissance ni des manifestations d’habitants. Mais ce n’est pas tout car en 2016, la seule ville de San Sebastian comptait 185 000 habitants, alors qu’en 1907, elle n’en avait que 45 000 !  L’effet de charge était alors disproportionné par rapport à aujourd’hui et pour autant c’est une partie des locaux qui manifestent désormais contre un tourisme qu’ils jugent excessif.

Et à Barcelone, avant les dramatiques attentats, la presse rappelait que l’on comptait 4,1 touristes pour chaque Barcelonais. Aux Baléares, ce taux grimpait à 11,7 vacanciers par habitant. Ce qui est beaucoup (et surtout concentré de manière massive dans quelques quartiers) mais pas autant qu’ailleurs où l’on n’a pas enregistré de manifestations comme par exemple à Saint Jean de Monts où le ratio est encore plus spectaculaire : 8500 habitants permanents pour 1,5 million vacanciers, soit 176 touristes par habitant !

Si la population locale se plaint, c’est par effet de concentration. Car le tourisme de masse concerne une période somme toute réduite et dans des points extrêmement concentrés : personne n’a constaté d’actions contre le tourisme de masse en Creuse, en Mayenne ou encore à Saint-Remy-en-Bouzemont-Saint-Genest-et-Isson, dans la Marne !

En cause, la dérégulation des logements touristiques

La première cause de ces situations d’énervement est la dérégulation touristique :

  • La multiplication des hébergements chez l’habitant avec l’affectation croissante de logements aux activités touristiques et la valorisation économique qu’elle procure à leurs propriétaires (Airbnb et ses concurrents sont clairement dans le viseur des habitants)
  • Un effet direct de l’économie dite du partage, mais en réalité à bouleversement majeur des positions précédentes patiemment développées
  • Un effet volumétrique au détriment de la qualité des visiteurs, induite par le fait que les touristes étaient précédemment canalisés dans des établissements professionnels comme les hôtels et les campings ou villages de vacances

On note ici un premier argument en faveur des hébergements marchands historiques que sont les hôtels, campings, villages de vacances, auberges de jeunesse… Ils canalisent les touristes, de jour et de nuit, facilitent des séjours générant de vraies retombées économiques (emplois, taxes de séjour, activités indirectes) et génèrent du calme (public familial, sorties au restaurant…). Les jeunes campeurs, ou les adeptes d’Auberges de Jeunesse ou de Centres Internationaux de Séjour répondent à une organisation qui calme les ardeurs des plus fringants.

La deuxième cause porte sur les incidences urbaines :

  • Transformation des quartiers : gentrification, appropriation de l’espace public, muséification urbaine, dégradation environnementale
  • Encombrement automobile et des transports en commun
  • Cohabitations difficiles en raison de séquences de vie décalées
  • Impacts sur la culture locale : recours massif à l’anglais
  • Vie de plus en plus chère pour les résidents (moins de commerces de proximité, plus d’opportunistes affairistes)
  • Emplois de plus en plus précaires et faiblement payés depuis la crise de 2008 notamment en Europe du Sud
  • Loyers plus chers mais plus rentables pour les propriétaires dès lors qu’ils sont affectés au tourisme : le récent outil de datavisualisation d’Airbnb est une réponse à ce phénomène
  • Obligation pour les habitants de s’exiler en périphérie (les habitants historiques de Saint-Tropez par exemple)

Retombées hasardeuses pour les locaux

Cependant, le phénomène observé en 2017, n’a que deux aspects nouveaux :

  • Celui de son surgissement simultané en de multiples endroits, qui a démontré une vraie préoccupation des Européens
  • Et le fait qu’il soit porté par des collectifs locaux, organisés et sachant se faire entendre

A la masse et aux comportements irresponsables de certains touristes, noceurs et portant atteinte aux usages locaux, répondent des manifestations qui traduisent que les habitants ne vivent pas (bien) du tourisme. Notamment là où on a observé une incroyable croissance de l’hébergement particulier.

Ces manifestations contre les activités touristiques ont été l’apanage de gens modestes pestant contre la venue d’une masse d’autres gens, souvent modestes. Les pays d’Europe du Sud ont particulièrement souffert de la crise financière et immobilière américaine qui s’est propagée à partir de 2008. Endettement, chômage massif, nettoyage brutal des comptes publics, mise en hyper fragilité de millions de Grecs, Italiens, Espagnols et Portugais principalement.

Et depuis 2015 la reprise économique est arrivée. Forte. Avec des emplois précaires et des salaires bas, souvent en imposant du double voire du triple emploi. Le taux de chômage des jeunes latins est énorme et leur rémunération moyenne est affreusement basse. Dans le même temps, l’économie low cost s’est imposée dans l’aérien, l’économie dite du partage également, avec la démultiplication des offres d’hébergements payants chez l’habitant, Airbnb, et les querelles autour d’Uber, Deliveroo…

Un autre point à prendre en considération, c’est celui du tourisme low cost qui a contribué à créer ces perturbations. Le monde ne fait pas la richesse. La masse et les statistiques volumétriques ne font pas la satisfaction. La qualité des prestations, comme celles qui ont été développées depuis 15 ans dans les campings et depuis 5 ans dans les hôtels qui se réinventent (Okko en est un formidable exemple), l’est à l’inverse.

Quelques recommandations à proposer pour modérer l’ampleur de ce mouvement :

  • Réglementer : le tourisme est une affaire de professionnels responsables qui investissent et contribuent à canaliser la demande (en centre ville dans l’hôtellerie, en périphérie pour les campings)
  • Ecouter les socio-professionnels (HPA, hôtels, restaurateurs)
  • Le tourisme n’est pas un business opportuniste : il suppose des tickets d’entrée pour les professionnels et une inscription dans la durée, faite d’investissements à longs termes, d’engagements sociaux et environnementaux
  • Faciliter le développement des transports doux, notamment avec les secteurs périphériques dans lesquels sont implantés les campings
  • Ne pas hésiter à limiter les conditions d’accès (sites sensibles, péages piétons aux entrées ou circulation en ville pour les non résidents)
  • Réfléchir à des actions de slow tourisme (les bons produits du terroir, la mise en relation avec les producteurs locaux…)
  • Impliquer la population locale et l’office de tourisme dans les projets structurants : création de comités locaux touristiques et culturels

En relire davantage, un article de Jean Luc Boulin : https://www.etourisme.info/tourismophobie-chaud-le-marronnier-chaud/

Et un premier article article de François Perroy, constitutif de cette nouvelle relation :

https://www.etourisme.info/complet-habitants-decident-taux-doccupation/

François Perroy

François Perroy dirige Emotio Tourisme SAS depuis sa création en 2007. Il est aussi Directeur Général d'Agitateurs de Destinations Numériques. Cofondateur et contributeur du blog etourisme.info, il est également auteur et directeur scientifique d'ouvrages chez Territorial.

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